Samedi 09 juin2017, l’Ecosse enfin !! Sur l’A82, le long du Loch Lomond, le deuxième plus grand lac de Grande-Bretagne après le Loch Ness, je sens l’impatience monter. Cette partie de la route est sinueuse, pas très large, mais fréquentée, laissant peu d’opportunités d’admirer le magnifique paysage. Une fois le lac passé, elle s’élargit pour remonter la vallée en direction du nord. Crianlarich, Tyndrum, Bridge of Orchy. Entre ces villages touristiques, le néant. Ou plutôt de merveilleux paysages verdoyants, dominés par quelques munros aux pentes abruptes et aux sommets invisibles. Puis la route longe Loch Tulla avant la large épingle qui élève l’étranger de passage dans une autre dimension…
Rannoch Moor, vaste plateau de lande constellé de lacs scintillants s’ouvre soudain. La route est à présent un large ruban longiligne au milieu d’une nature inviolée, brute et resplendissante. L’impression d’espace est indescriptible et à peine entamée par les montagnes abruptes qui cernent bienveillamment l’horizon. Mon coeur se met à battre plus fort, mes yeux s’écarquillent devant ces immenses étendues sauvages et désolées. Pas un bâtiment à l’horizon, si ce n’est, nichée à un environ 1 mile sur la gauche, la minuscule station de ski du Glencoe Mountain Resort, à peine visible depuis la route. Et soudain, « elle » apparaît…
Buachaille Etive Mor, « Le Grand Berger d’Etive », la montagne la plus photographiée d’Ecosse et l’une des plus emblématiques, se trouve au carrefour de deux vallées: celle de Glencoe, où l’A82 se fraye un chemin vers le NO entre deux chaînes de montagnes, jusqu’à Loch Leven, un long bras de mer s’apparentant à un fjord, et Glen Etive, où une toute petite route se faufile vers le SO et termine en cul-de-sac au bord de Loch Etive, un autre bras de mer. The Buachaille (prononcer « boukile »), comme l’appellent les Ecossais, est en fait une crête d’environ 6km de long qui s’étire le long de la vallée isolée de Glen Etive, au SO de la route principale. Son point culminant est Stob Dearg (1021m), dont les falaises s’élèvent plus de 750m au-dessus de la rivière Coupall, que suit sur quelques kilomètres l’axe vital qu’est l’A82, sur laquelle je me trouve. La face NE est un terrain de jeu renommé chez les amateurs de varappe et d’escalade, tandis que les randonneurs comme moi préféreront la montée côté N via le sentier qui remonte Coire na Tulaich. Je suis la route qui remonte légèrement à un petit col qui marque la séparation entre Glen Etive et Glencoe, avant de redescendre au niveau de la mer…
Un peu plus tard, me voilà en train de siroter une pinte d’ale dans un pub de Kinlochleven. Il est environ 23h. Je viens de m’installer au camping de Caolasnacon, au bord du Loch Leven. La météo s’annonce pluvieuse pour les jours à venir, et ce dès le lendemain en milieu de matinée. Il va donc falloir partir très tôt pour pouvoir espérer faire au moins une partie de la randonnée au sec et avoir quelque vue. A moins que…
Il est environ minuit quand je reprends la route pour rentrer au camping. Autour de moi, le ciel clair de juin, pourtant quelque peu ennuagé, laisse apparaître toutes les montagnes alentour. Il y a en moi toute l’excitation d’un aventurier prêt à découvrir de nouveaux territoires, prêt à conquérir The Buachaille. Pour le collectionneur de sommets que je suis, il y a deux munros (voir article précédent) à gravir, plus deux sommets secondaires. Quoi de mieux que de commencer mon séjour écossais par une si belle brochette ? D’autant plus que je n’ai grimpé qu’un seul munro jusqu’à présent, Ben Nevis (1345m), en 2003. Le problème qui se pose à moi, c’est que je sens que je ne suis pas prêt de dormir. Et je calcule que pour bien faire, il me faudrait me lever à 4h. Très courte nuit en perspective, donc. C’est alors que me vient l’idée, une de celles qui vous donnent le sourire aux lèvres tant elle est géniale et folle à la fois, une de celles qui vous font monter l’adrénaline et font briller vos yeux: et pourquoi ne pas partir marcher… MAINTENANT ?? Autrement dit, faire ma première randonnée de nuit, sans dormir, sur un terrain difficile et un sentier peu évident à suivre.
J’ai beau chercher, il n’y a aucune raison valable de ne pas le faire !! La météo ? A priori ok jusque vers 9 ou 10h. L’équipement ? J’ai une lampe frontale plus une lampe-torche au cas où, le GPS et tout le reste. Le timing ? En commençant à marcher vers 2h, je devrais être en haut pour le lever de soleil, ce que j’ai toujours rêvé de faire !! Assis dans ma tente, je prépare donc minutieusement mes affaires. On a beau être au mois de juin et monter à peine au-dessus de 1000m, il va falloir prévoir des habits chauds, en plus des habituels blouson et pantalon imperméables. Et surtout, un grand thermos de café au lait !!
Il est 2h passé de quelques minutes quand je me gare le long de l’A82, face au monstre de pierre. Sa silhouette est nettement visible, tout comme celles de ses voisines. Je traverse la route et passe silencieusement à côté d’un camping-car garé en contrebas de la route. Je suis calme et concentré, mais je jubile intérieurement. Me voilà absolument seul face à Buachaille Etive Mor, à une heure où Morphée tient à peu près tout le monde dans ses bras. Et ce n’est qu’au bout d’une bonne demi-heure de marche que j’allume la frontale afin de mieux voir où je mets les pieds, notamment lors de la traversée d’Allt Coire na Tulaich, le ruisseau principal qui dévale Coire na Tulaich, sorte de vallon qui s’élève au NO de Stob Dearg. L’unique sentier qui remonte le long des éboulis qui cernent le cours du ruisseau est peu visible et pas vraiment évident à suivre. Pour une fois, je m’aide un peu de la carte de mon GPS afin d’être sûr de ne pas trop m’en éloigner. Vu que je n’ai pas dormi, la fatigue se fait vite sentir, et je reste sur mes gardes afin de ne pas m’aventurer involontairement sur des pentes trop abruptes. Le sentier se perd et ré-apparaît, zig-zaguant dans un interminable chaos de blocs et de rochers en direction d’un col situé à environ 870m d’altitude. Un peu en-deçà du col, tandis que les premières lueurs de l’aube me décident à éteindre la frontale, le vent se fait sentir. Alors que je termine de franchir un ressaut rocheux, seul endroit du parcours où il faut poser les mains, une rafale me fait vaciller, me rappelant ô combien je suis petit et fragile dans ce décor grandiose mais rude et austère, et ô combien il va falloir rester vigilant jusqu’au bout.
Malgré un vent de plus en plus fort, l’arrivée au col est un soulagement. Le panorama s’ouvre sur la crête ennuagée de Creise (1100m), de l’autre côté de Glen Etive. Le reste de la montée en direction de Stob Dearg (1021m) ne s’annonce pas trop compliqué. Au fur-et-à-mesure que je m’approche du sommet, l’adjectif « Dearg », qui veut dire « rouge » en gaélique, prend tout son sens: la roche est en effet de couleur rouge-rose. Les nuages passent le long des crêtes alentour mais semblent vouloir éviter Stob Dearg. Après environ 2h15 d’efforts, je parviens au sommet, cinq minutes seulement avant le lever du soleil. Trop nuageux pour espérer une explosion de couleurs, mais tout de même, quelle sensation extraordinaire !!
Tout autour de moi, les nombreuses crêtes plus ou moins ennuagées contrastent avec l’immense étendue plane de lande de Rannoch Moor, traversée quelques heures plus tôt en voiture !! Au NE, les premiers de rayons de soleil peinent à se frayer un chemin à travers de gros nuages. Derrière moi, la pleine lune apparaît au-dessus des montagnes au loin, dans un bout de ciel bleu entre deux bancs de nuages. Je sens des frissons me parcourir l’échine, et pas seulement à cause du vent glacial !! Je l’ai fait !!
Lorsque le soleil perce enfin à travers les nuages, illuminant ça et là lacs et bouts de montagnes, je me sens totalement imprégné par la magie de ces paysages. Installé dans l’abri de pierre situé au sommet, je mitraille à tout-va au gré des jeux de lumière. Le café encore bouillant s’avère être un allié des plus précieux pendant cette heure d’émerveillement total, des instants uniques et magiques qui resteront à jamais gravés dans ma mémoire.
Soudain, la crête voisine de Buachaille Etive Beag (« le Petit Berger d’Etive ») se pare de couleurs sous une lumière éblouissante qui va et vient sans cesse; puis c’est au tour de Rannoch Moor de s’embraser. A couper le souffle !!
Il est environ 5h30 quand je décide de continuer ma route le long de la crête. Je redescends donc en direction du col et poursuit mon chemin vers le sommet secondaire de Stob Doire (1011m). Pendant la montée, je profite de la vue sur Stob Dearg avant l’arrivée des nuages, puis de la bruine.
La descente depuis le sommet de Stob na Doire est plutôt raide, mais se fait sans difficulté. S’étalant tout le long de la crête, le sentier, bien visible et jamais franchement exposé, est un vrai régal à suivre, même sous les nuages et la bruine. Certes, pour les points de vue, il faudra repasser, notamment pour ce qui est de la deuxième partie de la crête, que je ferai intégralement dans la brume…
Après avoir visité Stob Coire Altruim (941m) et le deuxième munro du jour, Stob na Broige (956m) entre bruine et brume, je reviens sur mes pas et rejoins le col d’où part le sentier abrupt mais bien défini qui descend dans le vallon de Coire Altruim. Les rochers, rendus glissants par la pluie, nécessitent une grande prudence, et c’est avec soulagement que j’aperçois le sentier qui descend le long de Lairig Gartain, la vallée qui sépare Buachaille Etive Mor de Buachaille Etive Beag. Reste à traverser la rivière Coupall, heureusement peu large à cet endroit, pour pouvoir rejoindre ce sentier.
De là, le bon sentier longe la rivière Coupall et rejoint l’A82 tout près de mon point de départ. Il est environ 9h45 lorsque j’arrive à la voiture, et je me délecte à regarder d’autres randonneurs se préparer à aller affronter la pluie tandis que je rentre, le coeur toujours empli de ces moments inoubliables et privilégiés, les yeux brillants d’émotion face aux à-pics du Grand Berger d’Etive, la tête dans les nuages tout comme lui…
Distance: environ 16,5km; dénivelé: environ 1100m; durée: 7h30, dont environ 1h00 au sommet de Stob Dearg.
Difficultés: La montée se fait presque entièrement sur de la roche et il faut un peu s’aider des mains peu avant l’arrivée au premier col, mais rien de technique. A vrai dire, côté terrain, pas de grosse difficulté sur ce parcours… par beau temps !! On ne se sent pas exposé le long de ce magnifique parcours de crête, par contre, attention tout de même au vent !! Et prudence aussi sur les rochers mouillés, notamment dans la descente. En outre, attention aussi à l’orientation dans la montée, car on perd facilement trace du sentier. Une fois sur la crête, la navigation est beaucoup plus facile, car il n’y a qu’un seul sentier qui la parcourt.
Thank you very much for your kind comment, hearing such compliments from a munroist who has several TGO challenges under her belt makes it all the more meaningful to me !! All the best for 2018 !! 😀
Absolutely fantastic. What a genius idea to just go early and June is probably the best time of the year for sunrise. Stunning photos. What an amazing experience. I’m sure you’re really glad you went early.
Sorry for replying so late, thank you very much for reading and commenting, yes it was a brilliant experience and I will surely do it again !! I should be back to Scotland next June hopefully !! 🙂
I fully agree with the above comment: What a way to climb this iconic mountain!
I have spent quite a few nights on mountains in my tent but have never done an actual hillwalk at night – something I should try sometime!
Brilliant photos, and a wonderful description of these magical moments at sunrise. Many thanks and well done 🙂
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